De
cette voie que Karl semble connaître parfaitement. Le silence qu’il y règne...Je l’imagine aussi la journée silencieuse. Celui qui possède à présent
Céline, qui possède son visage et sa grâce, y vit peut-être. L’idée me
traverse, la violence de cette idée, elle semble me déchirer le cerveau.
J’attrape Karl par le bras. Il ne s’arrête pas. Il pourrait me traîner ainsi,
pendu à son bras, des heures. Il semble possédé, aspiré par le seuil de cette rue. Des grognements parfois. Pour paroles. Des mots abîmés, essayant de
trouver une porte de sortie. L’alcool, ses traumatismes, mon récit d’horreur.
Quelque chose l’incite à tailler le trottoir. Le sentiment maintenant, toujours la nuit, cette lampe minuscule qui me guide ; qu’il devait marcher comme
ça dans son pays de guerre et d’affronts. Je ne vois que les débris de la ville,
flottants devant nous. Lumières étranges, pouvant soulever le cœur, par-delà
les verres enquillés. Celles de Céline...Ses preuves de vie.
vendredi 28 juin 2013
mercredi 26 juin 2013
169-
Ils
obligent à errer, dans sa vie, le passé. Comme un pavé humide. Glissant.
Instable. A ne jamais rencontrer le tangible, la chair perdue. Chaleur au bout
des doigts. Dans les draps salis, de présences aimantes. De rapprochements au
parfum triste ou si gai. De parfum d’envies, désirs assouvis, négligés. Alors
que les ateliers forment cette masse énorme, hérissées de lumières pâlissantes, Karl m’en détourne. Nous
avons emprunté une rue, à la résonance apaisante. A l’étroitesse ensorcelante.
Je revois très bien nos ombres écorchées par le crépi des vieux immeubles. L’odeur
que traîne cette ville, les jours plongés dans la bruine. Lambeaux des papiers
peints, bois gonflés, portes traînant sur des parquets soufflés. Soulevés par
une eau marine. L’odeur nous accompagne tout au long de cette voie si longue.
lundi 24 juin 2013
168-
« Couple uni dans un secret »...Détruit,
puis reconstruit le temps de ne rien comprendre. Je la porte, elle est moi. Comme une composition...Une part disparue, mais dont le souvenir est si fort. Qu’une
main posée dans mon dos semble me pousser...Nous arrivons au bord d’un plateau,
ses ateliers désaffectés. Encore synthèses du passé. Certaines latitudes sont des poisons...Certains lieux sont des
poisons...L’exposé macabre de faits, de gestes.
vendredi 21 juin 2013
167-
En
poursuivant le fil de ces pensées, en essayant désormais, de leur trouver un
décor, je tente de nommer chacune des étapes qui m’ont conduit auprès de cet
homme. Blocs, impasses, adresses à retrouver. Visage à remettre à sa place.
Mais c’est impossible. Impossible, parce tout se dérobe à chaque fois.
mardi 18 juin 2013
166-
Des
hommes soudain sans passé. Ni mémoire vive. Jetés dans le noir, le froid, ces
données errantes...Ou bruits parasites dans le silence des artères. Je réalise
alors que je suis dehors, à la même heure que Céline, que je marche comme elle,
la veille. Que les heures qui me séparent d’elle ne sont qu’une poignée, qu’il
aurait suffi que je ne boive pas. Que je l’accompagne. Encore une donnée errante. Une pensée à l’évidence tranchante. Il aurait suffi. Ces mots ont la
vulgarité épaisse d’une mauvaise farce. Je traîne avec ce type, Karl, et même
là, je ne saisis pas bien le sens de cette marche. Quel homme suis-je donc pour
avoir si vite tout abandonné ? Pour avoir noyé un chagrin chronique,
dramatiquement aggravé, dans l’alcool. Alors que c’est à cause de ça que Céline
est morte. De cette beuverie solitaire, couronnant des semaines, des mois d’un
dérapage à peine contrôlé.
vendredi 14 juin 2013
165-
Nous avons cheminé ainsi. Dans cette rue, puis dans une autre...Toujours plus éloignés d’un centre en alerte, de ses habitudes renversées...Je revois encore le tee-shirt qu’avait enfilé Karl, en partant. Ces taches de camouflage ressemblent aux points noirs qui défilent en accéléré parfois, devant mes yeux. On s’est enfoncés littéralement dans le bas-ventre de la ville. Là, entre ses rives. Les plis cachés aux surfaces lisses, places, esplanades. Dont le miroitement, sous les réverbères, nous révulsait.
mercredi 12 juin 2013
164-
Quitter
cette pièce, ce huis clos devenu dangereux. Taxi rose. Direction un hôtel qu’il connaît,
Hugo Victor, une rue...Confuse dans sa
pureté. Exploitée pour son cul. Entremêlée
de plaques de rêves éveillés, de
sa nudité...La nuit dégradante. Bordée par des sévices, un clocher, des sentiments inoculés.
Dans
tel bras, secours précis...On aurait préféré l'oubli à ce teint de victime...Plein d'effets captivants, auxquels on touche sans avoir l'air. C'est encore plus fort...Les douleurs à leur place, endormies. Comme si elles n'avaient jamais...Pas de meilleur moment que l'or du soir...Un truc massif, nocif
pour ma vue...Bientôt plus
triste...A des années ou des ordures...
L'autre considéré comme une gêne...Les filles et les types dans le même...A force, le physique si maltraité. Sa peine...
vendredi 7 juin 2013
163-
Il m’explique, grâce à ces mots jetés sur le papier,
qu’il est sur le point d’être expulsé. Que dans sa rage, il a voulu tout expédier
en quelques minutes. Expulsion – colère –
foutu par la fenêtre. Il me dit qu’il finira sur le trottoir, expression si
banale et terrible. Finirai sur le
trottoir. Le temps utilisé indique qu’il en est certain. Ce futur qu’il arrache au silence. Grognements, puis mots...Qui disent l’inéluctable. Il n’est
jamais revenu. Il vit toujours dans le sable, ou dans un campement, dans son
désert mental. Les murs lui font mal, pourtant il voudrait rester. Mal – Etouffe – Mais – Froid. Il arrache
des petits bouts de feuilles blanches qu’il me tend, fébrile, en colère.
L’alcool change de nouveau les caractères. L’instant mauvais se précise.
mercredi 5 juin 2013
162-
Cet homme derrière sa fenêtre, dont la vie, comme
viscères au dehors, était répandue sur un trottoir. Je lui demande enfin
pourquoi...La raison de ce désordre, chaos extérieur. Alors que lui, Karl,
semble si calme. La soûlerie peut aider dans ces cas-là. Elle peut faire d’une
infirmité un impossible transitoire. Là, ce soir, en me remémorant ces
instants, je l’entends, distinctement, me répondre d’une voix irréelle.
Pourtant, bien sûr, il ne parlait pas. Mais les mots qu’il écrivait avaient la
saveur d’un son. De sa voix d’avant j’imagine.
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