mardi 29 novembre 2011

27-


J’ai le sentiment que les mots m’encerclent. Qu’ils m’isolent. Xavier tente bien de me ramener à l’objet de ce repas...Il multiplie les tentatives. Elles tombent dans mon verre de vin comme des mouches mortes. J’entends : “T’es malade Francis ?”.

Le Docteur Francis Cabon est malade, en effet. Il n’y a pas d’urgence. Pour le moment, j’apprends à regarder selon des angles multiples. Non, vraiment, pas de quoi s’affoler dans l’immédiat. Le noir s’abattra très lentement. Une longue marche...Nous avons tout notre temps.

Céline mange avec une finesse remarquable. Moi, je mange à peine. La douleur engendrée...J’ai des souvenirs de la Bible.

Enfant, j’ai fréquenté un collège catholique. J’y ai, fatalement, appris que la souffrance est un chemin d’accès privilégié à Dieu.

Mais, en dehors de cet apprentissage chrétien, j’ai aussi appris que la souffrance n’est pas l’antichambre de la Lumière. C’est une théorie qui n’est pas celle des catholiques, elle est hébraïque.

Elle me plaît pourtant. Je lui trouve une espèce de logique infernale. Dans mon métier, elle m’a beaucoup aidé...Je n’accepte pas la douleur. Elle ne peut pas être le produit d’une vérité supérieure. La manifestation d’une présence divine...Connerie. Si on valide cette thèse, on ne soigne plus. On soulage à peine. On laisse le mal progresser. Se diffuser, comme le porteur d’un message de délivrance.

vendredi 25 novembre 2011

26-

Etre, mais dans le bruit, la foule ou les doutes. Les doutes, justement...Ils envahissent de plus en plus mon esprit...
  
Le cabinet tout neuf...Sa clientèle, l’administratif, les nouvelles molécules occupent, comme d’habitude, la conversation. La femme de Xavier est aussi médecin. Une généraliste. Alors que Céline finit ses études de pharmacie. La maladie qui était mon quotidien, est devenue une épée de Damoclès. Ma vision est en sursis. Je ne l’ai dit à personne...Ce sursis est un incendie. Une traînée de poudre génétique. Je regarde Céline. J’ignore mon investissement...Comment lui dire maintenant la vérité ? La maladie...Je crains de fusionner avec... De m’enfoncer dans l’obscurité, presque soulagé. Comme si au fond...Comme si je me crevais moi-même les yeux. C’est une chose étrange...Mais c’est ainsi. L’attachement et la destruction ont toujours cohabité en moi. J’aime, je me détruis...

mercredi 23 novembre 2011

25-


Nous sommes chez les Costigan. Xavier Costigan est un associé. Collègue médecin. Il vit avec sa femme dans une maison de ville. Rue Victor Hugo. Ils viennent d’emménager. La première des choses que nous avons faites est de visiter leur maison.

Moi je n’ai rien vu. Je me suis contenté de suivre tout le monde...En parcourant les lignes du corps de Céline. Ma main sur sa hanche gauche. La hanche à l’enfant. Je ne pourrai lui donner qu’un enfant malade.

Nous buvons. Nous dînons. Je reste silencieux. Ce qui étonne Xavier. Nous venons d’investir dans un cabinet médical. Ca démarre plutôt bien. Il semble agacer par mon mutisme. Mais je demeure tourné vers Céline. Et sa demande...Ce dilemme devant lequel elle me place.

Toujours cette distance, pleine de grâce, qui caractérise notre relation.

lundi 21 novembre 2011

24-


Elle s’enferme dans la salle de bains. En ressort le teint brillant, vêtue d’un long tee-shirt moulant.

Il y a une distance entre nous....

C’est notre mode de fonctionnement. A sa demande, ce soir-là, j’ai répondu “moi aussi”. Nous sommes sortis comme prévu. Toute la soirée je l’ai observée, avec discrétion. J’ai gardé le silence avec insistance. J’ai pensé avec acharnement. Il ne s’agit plus de beauté, mais de supplice. Il ne s’agit plus d’amour, à présent, mais d’un supplice.

jeudi 17 novembre 2011

23-


- “Je veux un enfant.”

D’une voix forte, le souffle court, Céline m’interroge. Je n’ai rien à opposer à ça. J’en suis incapable. Je n’ai pas besoin d’un enfant. J’ai besoin de sa présence à elle. De ses objets, de ses poudres, de ses vêtements.

Si je réponds non, je perds tout. Avec sa conversation, sa confiance aveugle. Je perds son indulgence, je plonge aussitôt. Rien ne me retient vraiment. Sinon sa présence. Je me remémore ses gestes du matin. Imprimés dans ma conscience, et son brouillard tenace. Elle frotte son visage avec ses mains, s’étire dans le lit. Sa poitrine déborde un peu de la nuisette. Les pieds en pointe, ses cuisses paraissent plus fines. Elle attrape un serre-tête sur la table de nuit. Elle le dispose sur son front et le fait basculer en arrière sur ses cheveux blonds.

Les traits dégagés, le corps libéré du sommeil, elle se lève.

mercredi 16 novembre 2011

22-

Recouvert d’argent, sur un lit glacial. Un désir si vif...J’aurais voulu dévorer cette beauté tuméfiée. Dévorer la mort pour qu’elle disparaisse. Sur son lit de glace, à la morgue, Céline était une chose qui ne ressemblait plus...Désespérante et imparfaite. Vidée de son sang. De quoi l’Autre s’est-il emparé ?

Je nous revois...Nous nous apprêtons à quitter notre appartement. Nous habitions au 9ème étage d’un immeuble Freyssinet. Bloc de béton fuselé et des courbes, posés sur le boulevard Sébastopol. Céline, à la porte, me retient par un bras. La pression qu’elle exerce a un sens particulier. Ce qu’elle a à me dire est important.

L’une de ses habitudes qui me bouleverse : elle est devant le miroir de la salle de bains, elle applique son rouge à lèvres. Lèvres tendues, très délicatement. Son long cou tout droit légèrement incliné vers l’avant. Cette image me trotte toujours dans la tête lorsqu’elle me touche le bras, puis qu’elle l’agrippe avec plus de vigueur.
 
 
L’image se brouille, remplacée par des mots. Ces mots que je redoutais d’entendre un jour :

mardi 15 novembre 2011

21-


Une espèce de guérison. Dans une chambre terne...

Dans une ville aux murs blancs. Je conduis un convoi terrifiant...Une armada puissante et criminelle...Plus d’histoires.

Le soir, enfin, j’investis à nouveau ma liberté. S’ouvre à moi un territoire sans contraintes. Un lieu aux dimensions inhumaines...Dans lequel je rechute. Le reste du temps, je joue la comédie. Avant de mourir...Après avoir rassemblé les cendres, que j’ai pourtant moi-même éparpillées.

Un corps calciné que j’ai aimé. Et qui danse à présent avec les restes. L’espoir de rassembler...Les cicatrices sur un torse nu qui fut sublime...Les marques sur une peau qui fut si...Et grise désormais. Après avoir été nettoyée, et recousue. Presque embaumée.

vendredi 11 novembre 2011

20-


Un art que l’on tente bien de remplacer...Par du vrai. Du vécu ma couille...Ces conneries sorties du cerveau d’un psychologue pour clébards. Toutes ces choses qui m’intiment l’ordre de vivre sans elle. Je veux dire sans Céline. Son image...

On me drogue, pour que j’avale les circonstances dans lesquelles elle m’a quitté. On me shoote pour que je taise la façon dont je l’ai...

C’est même pour ça qu’elle est morte. On me dit de regarder droit devant. Le cadran d’une horloge. Une hypnose collective...Salutaire bordel. Passe à autre chose. Je suis passé à autre chose. Un autre souffle. Un autre horizon. Aussi noir que le mien...Je ne veux plus...Ceci est mon dernier effort. Ma dernière contribution.

mercredi 9 novembre 2011

19-

Le jour, le temps est une débâcle. Une fracture que l’on essaie de réduire. Grâce à un dosage rigoureux de cachets, d’injections. D’exercices et d’ateliers.

Sous contrôle, je suis un itinéraire balisé. Une rééducation temporelle. La journée est ainsi rythmée...On me reconnecte au temps. Sa maîtrise...On me dit que c’est le signe d’une bonne adaptation.

L’adaptation, on me dit que c’est le chemin de la guérison. Un chemin silencieux, un peu ennuyeux. Plus de chants qui m’invitent et m’attendent quelque part. Mais, je reste avec elle. Auprès de sa dépouille, de ses cheveux souillés, de ses yeux clos. Une déesse désarticulée, toute recouverte d’épines et de bleus.

Les vêtements lacérés. Les larmes sèches. Des cris encore enfermés dans la poitrine. Une peinture au couteau...Toile de maître...Et criminelle.

lundi 7 novembre 2011

18-


Le cerveau en arrêt technique. Il m’arrivait de laisser courir les phobies...Je divague, avec elles, dans ce monde. Doucement, la lumière s’étiole. La chaleur se dissipe.

Puis les examens s’enchaînent. Destinés à me remettre sur un fil.

D’abord, nettoyer les événements. Parce que là...Ils sont encore dans la boue. Pleine de pochettes numérotées, de fureur, de visages épouvantés et d’actes limites.

Pleine de larmes et de marches. De coups et d’agressions.

Cette matière sombre qui maintient les astres dans le vide. Comme le mal...Ce lien invisible qui m’oppresse. Ce meurtre est une œuvre,  il est devenu ma vie. Une énigme, une souffrance. Tentaculaire et dérisoire. Triste à crever.

vendredi 4 novembre 2011

17-

Ensuite, le vide. Ce réveil dans une chambre. Plusieurs jours après, ou plusieurs semaines. Et des soins, des visites. Des conversations et diagnostics contradictoires. Les rechutes sont incessantes...Impossible de me consolider. Je bloque sur des yeux bleus. Au début, les médicaments m’éloignent des questions. Je vis dans une espèce de béatitude révoltante. On essaie de me remettre sur pied, grâce à des substances. Une sorte de prison. Je ne peux pas exprimer ma douleur. Je ne peux l’évacuer non plus. Paralysie désastreuse...Ressentir, même mal...Même douloureusement. Mais ressentir enfin.

mercredi 2 novembre 2011

16-

Le ciel s’éclaircit...La nuit semble se dissoudre. On me place sur un brancard...Les visages que j’aperçois ont une drôle d’expression. A la blancheur des peaux, on dirait des cadavres. Ultime tour de piste...On m’annonce que j’ai blessé quelqu’un, assez sérieusement.

J’aurais pu me suicider.... Direction les services psychiatriques d’urgence. Ce dont je me fous éperdument. Des animaux sympathiques courent dans mes veines. Ils jouent avec mes organes. La radio du bord palabre...Elle se mêle aux propos des urgentistes.

mardi 1 novembre 2011

15-


Pièces détachées…Corps profané puis disséqué. Brûlé pour finir. J’entends ce flic…

- “C’est bon…Il se calme. Ne le quitte pas des yeux…”

A présent, j’ai des menottes aux poignets. La foule se calme…Je suis à terre, dos contre le sol, visage tourné vers le ciel.

- “Vous savez très bien que ce n’est pas lui le tueur...C’est un pauvre type, point barre. Rentrez chez vous !”

Un pauvre type…Des sirènes chantent et déchirent les oreilles. Une clameur, des bruits…Et des blouses blanches, des tenues de cuir. Je me sens lourd comme une dalle de granit. On m’injecte un médicament. Une substance chimique voyage dans mes veines.

J’étais docteur avant. Avant. Je murmure des mots…Ca ne ressemble pas à un raisonnement. J’hésite...Le Propranolol m’endort…