mardi 27 décembre 2011

35-


Certaines nuits sont plus difficiles...Je me sens trop fragile pour écrire. L’angoisse me grignote lentement. Jusqu’à devenir un monde à part entière. Les ombres, les mouvements, les couleurs, les bruits les plus familiers deviennent des ennemis.

Je n’ai pas la force d’appeler au secours. Ni même de prendre un antidépresseur dans le pilulier posé sur la table de nuit. Le sentiment d’être transparent. A la merci d’une petite cuiller, d’une poussière ou de l’écho d’une voix qui transperce la porte, de la porte elle-même.

La simple idée d’une petite cuiller me déstabilise. Parce qu’avec on peut énucléer. Parce qu’avec on peut creuser. J’imagine ce que je pourrais ainsi déterrer. Céline, un cadavre en décomposition, un animal crevé, un pneu, un sac poubelle rempli d’ossements, ma propre tête...Que sais-je encore.

La poussière a le pouvoir de me désintégrer. Si elle me touche, elle me brûlera jusqu’à la dernière cellule.

Les électrochocs servent à vider le cerveau de ces phobies. A le remettre en phase avec l’univers. Parce que, paraît-il, l’univers n’est pas une menace permanente. La mélancolie est une maladie grave que l’électricité apaise. Voire guérit, on dit ça. Je n’ose pas penser à l’énergie nucléaire.

mardi 20 décembre 2011

34-

L’effervescence meurt, absorbée par la nappe en coton blanc. Je suis en nage, asphyxié et nerveux. Presque violent. J’ai dû renverser d’autres ustensiles. Je visualise à peine la scène. Xavier se lève d’un bond...Il comprend que je suis dans un état de panique. Mais il l’interprète d’une façon erronée.

“Le surmenage Francis...Défait ta chemise, respire profondément...”.

Il ordonne à Céline de défaire les boutons de ma chemise. Il demande à Lucie d’aller lui chercher une trousse dans la salle de bains, au premier étage, et autre chose dans son bureau.

Je ne m’en souviens plus. Céline me tient par les épaules. Elle prend soin de ne pas m’oppresser. Elle a réussi à me calmer par la seule apposition de ses mains sur ma peau. Je capte son expression qui se répercute dans mon esprit comme une immense vague de regrets, déjà.

Une lamentation qui, je ne le sais pas encore, possède une dimension sacrificielle. Ses cheveux blonds couvrent mon front brûlant. Je sens dans mon dos sa poitrine. Elle s’est penchée en avant, et m’embrasse. Son parfum capiteux est comme une offrande.

mercredi 14 décembre 2011

33-


De curieuses réflexions philosophiques et des textes sacrés... Tout ça envahit mon cerveau. Puis des images horribles. Les premières d’une longue série de malheurs. De gènes défectueux. Le sacrifice des enfants pendant les périodes de grande détresse...Encore une foutue remontée biblique.

Ces femmes tendres qui tiennent dans leurs bras des nourrissons...Qu’elles jettent soudain dans une énorme marmite. Et qu’elles mangent ensuite. Les enfants deviennent de la bouffe quand les peuples sont brisés, qu’ils survivent dans l’horreur. Je repousse brutalement l’assiette qui contient ma part de gâteau. Elle percute mon verre de champagne. Il se renverse...

lundi 12 décembre 2011

32-

Je tenais grâce à Céline. A son regard protecteur sur moi. Un mois plus tôt, j’avais appris que j’étais atteint d’une maladie, affectant mes yeux. Des symptômes typiques m’avaient alerté. Je décide alors de consulter...Un collègue, installé dans une autre ville. Et son “verdict” tombe, après une série de tests et d’analyses génétiques.

De retour à la maison, tout s’était bien passé. Jusqu’à cette soirée. Le travail c’est une arme fascinante et redoutable. Il suffit de s’y plonger...Des malades, et encore des malades. Des personnes, plus ou moins gravement touchées, viennent à moi...Un futur aveugle.

Puis au cours de ce mois, nous avons finalisé le transfert du cabinet. Une nouvelle occasion en or de voir le temps s’effacer. De voir se dissoudre avec lui les questions trop pénibles. Notre clientèle fidèle nous a suivis. Une autre, toute fraîche, est en train de se constituer. Et voilà...Ce soir, c’est le début d’un cauchemar. Du silence. Comme de sa perversion.

jeudi 8 décembre 2011

31-

La femme de Xavier, Lucie, pose un gâteau sur la table. Elle ne travaille pas avec nous. Elle a son propre cabinet. Je demeure imperturbable, alors que Céline commence également à s’étonner de mon attitude.

Quand elle est soucieuse, sa beauté s’illumine. Son visage se couvre d’une soie humide. Son regard s’approfondit...Il dégage quelque chose d’intense. De très dur et d’irrésistible. Afin de lui ôter cette expression de souffrance, je souris doucement, pour elle seule.

Je ramasse de la boue et je me l’applique sur les yeux. Sans guérir. Je crois que ce soir-là j’ai vécu ma première crise. J’ai commencé à réfléchir, à mélanger les Evangiles. A me perdre dans l’Ancien Testament. A mettre en doute mes capacités professionnelles. Tout ce que j’avais patiemment élaboré et construit. On n’ouvre pas chaque matin un cabinet médical comme un garage. Cela nécessite une mise en condition, ou l’absorption d’anxiolytiques. Ou encore d’alcool pour les plus dépressifs.

mercredi 7 décembre 2011

30-

J’en étais au repas chez les Costigan...J’en étais à la supplique de Céline.

Céline qui porte une robe magnifique. Très fluide, un peu transparente...Une transparence qui n’éveille chez moi aucune jalousie. Je l’aime trop pour ça.

Je m’y perds comme je me jetterais dans les eaux d’un lac de montagne. Nous mangeons dans l’embarras. Je cherche...Je cherche une faute. La faute qui entacherait mon existence... De façon irrémédiable. Pour une faute à venir. Ou pour une faute ancienne qui remonterait aux origines...Une transmission, un gène fantôme.

Les vices paternels ce sont les enfants qui les supportent...Une histoire de raisins verts et de dents pourries...Ce lien entre la douleur et le péché peut-il pourtant impliquer que les épreuves aient un autre objet ? Qu’elles visent une autre cible ?

Finalement les souffrances m’atteignent sans doute pour une autre raison...La délivrance contre la tristesse, ou l’ignorance. La lumière face au jugement, à sa colère...

lundi 5 décembre 2011

29-


Quand je suis perfusé, j’aime sentir l’infirmière, ou l’infirmier selon les nuits, se pencher sur moi, et vérifier la perfusion. Le Cathlon bien profond dans l’avant-bras. Une main remonte parfois le drap...Et la porte se referme dans un bruit très pur. Ce n’est pas toujours aussi calme...Loin de là. J’y reviendrai plus tard.

Ils savent que j’écris à présent. Personne n’y trouve à redire. J’ai même l’impression que c’est bien perçu. Je leur pose moins de difficultés. Ils ne savent pas pour la lumière... Qu’elle m’attire dangereusement. Ils ne savent pas non plus que les médicaments me  décomposent. Existence et pensées en miettes. Une fusée claire puis une fusée sombre. Avant la nuit définitive.

jeudi 1 décembre 2011

28-

On ne stoppe pas la parole sacrée...Au risque de maintenir les hommes dans les ténèbres. Comme médecin, j’avais pourtant l’obligation de m’attaquer à la souffrance...Ce qui est nettement plus simple si l’on ne sublime pas la douleur.

Une fois le patient guéri, la loi prend le relais. Elle condamne la faute commise. On ne peut pas confondre la maladie et le Mal...Si on les rapproche, ça ne concerne plus la médecine.

Je me mets, au cours du repas, à chercher un lien entre ma maladie et un péché quelconque...Mais là, je pénètre sur un territoire confus, dans lequel mes convictions s’effondrent...

Je tombe de sommeil...Des pas dans le couloir. Les nuits à l’hôpital ont une étrange saveur...Elles sentent l’abandon, et sont colorées d’inquiétude. En dépit de ces sentiments anxieux, elles génèrent également une douce sensation. La surveillance est permanente. Un œil toujours au-dessus de soi.