mardi 27 décembre 2011

35-


Certaines nuits sont plus difficiles...Je me sens trop fragile pour écrire. L’angoisse me grignote lentement. Jusqu’à devenir un monde à part entière. Les ombres, les mouvements, les couleurs, les bruits les plus familiers deviennent des ennemis.

Je n’ai pas la force d’appeler au secours. Ni même de prendre un antidépresseur dans le pilulier posé sur la table de nuit. Le sentiment d’être transparent. A la merci d’une petite cuiller, d’une poussière ou de l’écho d’une voix qui transperce la porte, de la porte elle-même.

La simple idée d’une petite cuiller me déstabilise. Parce qu’avec on peut énucléer. Parce qu’avec on peut creuser. J’imagine ce que je pourrais ainsi déterrer. Céline, un cadavre en décomposition, un animal crevé, un pneu, un sac poubelle rempli d’ossements, ma propre tête...Que sais-je encore.

La poussière a le pouvoir de me désintégrer. Si elle me touche, elle me brûlera jusqu’à la dernière cellule.

Les électrochocs servent à vider le cerveau de ces phobies. A le remettre en phase avec l’univers. Parce que, paraît-il, l’univers n’est pas une menace permanente. La mélancolie est une maladie grave que l’électricité apaise. Voire guérit, on dit ça. Je n’ose pas penser à l’énergie nucléaire.

mardi 20 décembre 2011

34-

L’effervescence meurt, absorbée par la nappe en coton blanc. Je suis en nage, asphyxié et nerveux. Presque violent. J’ai dû renverser d’autres ustensiles. Je visualise à peine la scène. Xavier se lève d’un bond...Il comprend que je suis dans un état de panique. Mais il l’interprète d’une façon erronée.

“Le surmenage Francis...Défait ta chemise, respire profondément...”.

Il ordonne à Céline de défaire les boutons de ma chemise. Il demande à Lucie d’aller lui chercher une trousse dans la salle de bains, au premier étage, et autre chose dans son bureau.

Je ne m’en souviens plus. Céline me tient par les épaules. Elle prend soin de ne pas m’oppresser. Elle a réussi à me calmer par la seule apposition de ses mains sur ma peau. Je capte son expression qui se répercute dans mon esprit comme une immense vague de regrets, déjà.

Une lamentation qui, je ne le sais pas encore, possède une dimension sacrificielle. Ses cheveux blonds couvrent mon front brûlant. Je sens dans mon dos sa poitrine. Elle s’est penchée en avant, et m’embrasse. Son parfum capiteux est comme une offrande.

mercredi 14 décembre 2011

33-


De curieuses réflexions philosophiques et des textes sacrés... Tout ça envahit mon cerveau. Puis des images horribles. Les premières d’une longue série de malheurs. De gènes défectueux. Le sacrifice des enfants pendant les périodes de grande détresse...Encore une foutue remontée biblique.

Ces femmes tendres qui tiennent dans leurs bras des nourrissons...Qu’elles jettent soudain dans une énorme marmite. Et qu’elles mangent ensuite. Les enfants deviennent de la bouffe quand les peuples sont brisés, qu’ils survivent dans l’horreur. Je repousse brutalement l’assiette qui contient ma part de gâteau. Elle percute mon verre de champagne. Il se renverse...

lundi 12 décembre 2011

32-

Je tenais grâce à Céline. A son regard protecteur sur moi. Un mois plus tôt, j’avais appris que j’étais atteint d’une maladie, affectant mes yeux. Des symptômes typiques m’avaient alerté. Je décide alors de consulter...Un collègue, installé dans une autre ville. Et son “verdict” tombe, après une série de tests et d’analyses génétiques.

De retour à la maison, tout s’était bien passé. Jusqu’à cette soirée. Le travail c’est une arme fascinante et redoutable. Il suffit de s’y plonger...Des malades, et encore des malades. Des personnes, plus ou moins gravement touchées, viennent à moi...Un futur aveugle.

Puis au cours de ce mois, nous avons finalisé le transfert du cabinet. Une nouvelle occasion en or de voir le temps s’effacer. De voir se dissoudre avec lui les questions trop pénibles. Notre clientèle fidèle nous a suivis. Une autre, toute fraîche, est en train de se constituer. Et voilà...Ce soir, c’est le début d’un cauchemar. Du silence. Comme de sa perversion.

jeudi 8 décembre 2011

31-

La femme de Xavier, Lucie, pose un gâteau sur la table. Elle ne travaille pas avec nous. Elle a son propre cabinet. Je demeure imperturbable, alors que Céline commence également à s’étonner de mon attitude.

Quand elle est soucieuse, sa beauté s’illumine. Son visage se couvre d’une soie humide. Son regard s’approfondit...Il dégage quelque chose d’intense. De très dur et d’irrésistible. Afin de lui ôter cette expression de souffrance, je souris doucement, pour elle seule.

Je ramasse de la boue et je me l’applique sur les yeux. Sans guérir. Je crois que ce soir-là j’ai vécu ma première crise. J’ai commencé à réfléchir, à mélanger les Evangiles. A me perdre dans l’Ancien Testament. A mettre en doute mes capacités professionnelles. Tout ce que j’avais patiemment élaboré et construit. On n’ouvre pas chaque matin un cabinet médical comme un garage. Cela nécessite une mise en condition, ou l’absorption d’anxiolytiques. Ou encore d’alcool pour les plus dépressifs.

mercredi 7 décembre 2011

30-

J’en étais au repas chez les Costigan...J’en étais à la supplique de Céline.

Céline qui porte une robe magnifique. Très fluide, un peu transparente...Une transparence qui n’éveille chez moi aucune jalousie. Je l’aime trop pour ça.

Je m’y perds comme je me jetterais dans les eaux d’un lac de montagne. Nous mangeons dans l’embarras. Je cherche...Je cherche une faute. La faute qui entacherait mon existence... De façon irrémédiable. Pour une faute à venir. Ou pour une faute ancienne qui remonterait aux origines...Une transmission, un gène fantôme.

Les vices paternels ce sont les enfants qui les supportent...Une histoire de raisins verts et de dents pourries...Ce lien entre la douleur et le péché peut-il pourtant impliquer que les épreuves aient un autre objet ? Qu’elles visent une autre cible ?

Finalement les souffrances m’atteignent sans doute pour une autre raison...La délivrance contre la tristesse, ou l’ignorance. La lumière face au jugement, à sa colère...

lundi 5 décembre 2011

29-


Quand je suis perfusé, j’aime sentir l’infirmière, ou l’infirmier selon les nuits, se pencher sur moi, et vérifier la perfusion. Le Cathlon bien profond dans l’avant-bras. Une main remonte parfois le drap...Et la porte se referme dans un bruit très pur. Ce n’est pas toujours aussi calme...Loin de là. J’y reviendrai plus tard.

Ils savent que j’écris à présent. Personne n’y trouve à redire. J’ai même l’impression que c’est bien perçu. Je leur pose moins de difficultés. Ils ne savent pas pour la lumière... Qu’elle m’attire dangereusement. Ils ne savent pas non plus que les médicaments me  décomposent. Existence et pensées en miettes. Une fusée claire puis une fusée sombre. Avant la nuit définitive.

jeudi 1 décembre 2011

28-

On ne stoppe pas la parole sacrée...Au risque de maintenir les hommes dans les ténèbres. Comme médecin, j’avais pourtant l’obligation de m’attaquer à la souffrance...Ce qui est nettement plus simple si l’on ne sublime pas la douleur.

Une fois le patient guéri, la loi prend le relais. Elle condamne la faute commise. On ne peut pas confondre la maladie et le Mal...Si on les rapproche, ça ne concerne plus la médecine.

Je me mets, au cours du repas, à chercher un lien entre ma maladie et un péché quelconque...Mais là, je pénètre sur un territoire confus, dans lequel mes convictions s’effondrent...

Je tombe de sommeil...Des pas dans le couloir. Les nuits à l’hôpital ont une étrange saveur...Elles sentent l’abandon, et sont colorées d’inquiétude. En dépit de ces sentiments anxieux, elles génèrent également une douce sensation. La surveillance est permanente. Un œil toujours au-dessus de soi.

mardi 29 novembre 2011

27-


J’ai le sentiment que les mots m’encerclent. Qu’ils m’isolent. Xavier tente bien de me ramener à l’objet de ce repas...Il multiplie les tentatives. Elles tombent dans mon verre de vin comme des mouches mortes. J’entends : “T’es malade Francis ?”.

Le Docteur Francis Cabon est malade, en effet. Il n’y a pas d’urgence. Pour le moment, j’apprends à regarder selon des angles multiples. Non, vraiment, pas de quoi s’affoler dans l’immédiat. Le noir s’abattra très lentement. Une longue marche...Nous avons tout notre temps.

Céline mange avec une finesse remarquable. Moi, je mange à peine. La douleur engendrée...J’ai des souvenirs de la Bible.

Enfant, j’ai fréquenté un collège catholique. J’y ai, fatalement, appris que la souffrance est un chemin d’accès privilégié à Dieu.

Mais, en dehors de cet apprentissage chrétien, j’ai aussi appris que la souffrance n’est pas l’antichambre de la Lumière. C’est une théorie qui n’est pas celle des catholiques, elle est hébraïque.

Elle me plaît pourtant. Je lui trouve une espèce de logique infernale. Dans mon métier, elle m’a beaucoup aidé...Je n’accepte pas la douleur. Elle ne peut pas être le produit d’une vérité supérieure. La manifestation d’une présence divine...Connerie. Si on valide cette thèse, on ne soigne plus. On soulage à peine. On laisse le mal progresser. Se diffuser, comme le porteur d’un message de délivrance.

vendredi 25 novembre 2011

26-

Etre, mais dans le bruit, la foule ou les doutes. Les doutes, justement...Ils envahissent de plus en plus mon esprit...
  
Le cabinet tout neuf...Sa clientèle, l’administratif, les nouvelles molécules occupent, comme d’habitude, la conversation. La femme de Xavier est aussi médecin. Une généraliste. Alors que Céline finit ses études de pharmacie. La maladie qui était mon quotidien, est devenue une épée de Damoclès. Ma vision est en sursis. Je ne l’ai dit à personne...Ce sursis est un incendie. Une traînée de poudre génétique. Je regarde Céline. J’ignore mon investissement...Comment lui dire maintenant la vérité ? La maladie...Je crains de fusionner avec... De m’enfoncer dans l’obscurité, presque soulagé. Comme si au fond...Comme si je me crevais moi-même les yeux. C’est une chose étrange...Mais c’est ainsi. L’attachement et la destruction ont toujours cohabité en moi. J’aime, je me détruis...

mercredi 23 novembre 2011

25-


Nous sommes chez les Costigan. Xavier Costigan est un associé. Collègue médecin. Il vit avec sa femme dans une maison de ville. Rue Victor Hugo. Ils viennent d’emménager. La première des choses que nous avons faites est de visiter leur maison.

Moi je n’ai rien vu. Je me suis contenté de suivre tout le monde...En parcourant les lignes du corps de Céline. Ma main sur sa hanche gauche. La hanche à l’enfant. Je ne pourrai lui donner qu’un enfant malade.

Nous buvons. Nous dînons. Je reste silencieux. Ce qui étonne Xavier. Nous venons d’investir dans un cabinet médical. Ca démarre plutôt bien. Il semble agacer par mon mutisme. Mais je demeure tourné vers Céline. Et sa demande...Ce dilemme devant lequel elle me place.

Toujours cette distance, pleine de grâce, qui caractérise notre relation.

lundi 21 novembre 2011

24-


Elle s’enferme dans la salle de bains. En ressort le teint brillant, vêtue d’un long tee-shirt moulant.

Il y a une distance entre nous....

C’est notre mode de fonctionnement. A sa demande, ce soir-là, j’ai répondu “moi aussi”. Nous sommes sortis comme prévu. Toute la soirée je l’ai observée, avec discrétion. J’ai gardé le silence avec insistance. J’ai pensé avec acharnement. Il ne s’agit plus de beauté, mais de supplice. Il ne s’agit plus d’amour, à présent, mais d’un supplice.

jeudi 17 novembre 2011

23-


- “Je veux un enfant.”

D’une voix forte, le souffle court, Céline m’interroge. Je n’ai rien à opposer à ça. J’en suis incapable. Je n’ai pas besoin d’un enfant. J’ai besoin de sa présence à elle. De ses objets, de ses poudres, de ses vêtements.

Si je réponds non, je perds tout. Avec sa conversation, sa confiance aveugle. Je perds son indulgence, je plonge aussitôt. Rien ne me retient vraiment. Sinon sa présence. Je me remémore ses gestes du matin. Imprimés dans ma conscience, et son brouillard tenace. Elle frotte son visage avec ses mains, s’étire dans le lit. Sa poitrine déborde un peu de la nuisette. Les pieds en pointe, ses cuisses paraissent plus fines. Elle attrape un serre-tête sur la table de nuit. Elle le dispose sur son front et le fait basculer en arrière sur ses cheveux blonds.

Les traits dégagés, le corps libéré du sommeil, elle se lève.

mercredi 16 novembre 2011

22-

Recouvert d’argent, sur un lit glacial. Un désir si vif...J’aurais voulu dévorer cette beauté tuméfiée. Dévorer la mort pour qu’elle disparaisse. Sur son lit de glace, à la morgue, Céline était une chose qui ne ressemblait plus...Désespérante et imparfaite. Vidée de son sang. De quoi l’Autre s’est-il emparé ?

Je nous revois...Nous nous apprêtons à quitter notre appartement. Nous habitions au 9ème étage d’un immeuble Freyssinet. Bloc de béton fuselé et des courbes, posés sur le boulevard Sébastopol. Céline, à la porte, me retient par un bras. La pression qu’elle exerce a un sens particulier. Ce qu’elle a à me dire est important.

L’une de ses habitudes qui me bouleverse : elle est devant le miroir de la salle de bains, elle applique son rouge à lèvres. Lèvres tendues, très délicatement. Son long cou tout droit légèrement incliné vers l’avant. Cette image me trotte toujours dans la tête lorsqu’elle me touche le bras, puis qu’elle l’agrippe avec plus de vigueur.
 
 
L’image se brouille, remplacée par des mots. Ces mots que je redoutais d’entendre un jour :

mardi 15 novembre 2011

21-


Une espèce de guérison. Dans une chambre terne...

Dans une ville aux murs blancs. Je conduis un convoi terrifiant...Une armada puissante et criminelle...Plus d’histoires.

Le soir, enfin, j’investis à nouveau ma liberté. S’ouvre à moi un territoire sans contraintes. Un lieu aux dimensions inhumaines...Dans lequel je rechute. Le reste du temps, je joue la comédie. Avant de mourir...Après avoir rassemblé les cendres, que j’ai pourtant moi-même éparpillées.

Un corps calciné que j’ai aimé. Et qui danse à présent avec les restes. L’espoir de rassembler...Les cicatrices sur un torse nu qui fut sublime...Les marques sur une peau qui fut si...Et grise désormais. Après avoir été nettoyée, et recousue. Presque embaumée.

vendredi 11 novembre 2011

20-


Un art que l’on tente bien de remplacer...Par du vrai. Du vécu ma couille...Ces conneries sorties du cerveau d’un psychologue pour clébards. Toutes ces choses qui m’intiment l’ordre de vivre sans elle. Je veux dire sans Céline. Son image...

On me drogue, pour que j’avale les circonstances dans lesquelles elle m’a quitté. On me shoote pour que je taise la façon dont je l’ai...

C’est même pour ça qu’elle est morte. On me dit de regarder droit devant. Le cadran d’une horloge. Une hypnose collective...Salutaire bordel. Passe à autre chose. Je suis passé à autre chose. Un autre souffle. Un autre horizon. Aussi noir que le mien...Je ne veux plus...Ceci est mon dernier effort. Ma dernière contribution.

mercredi 9 novembre 2011

19-

Le jour, le temps est une débâcle. Une fracture que l’on essaie de réduire. Grâce à un dosage rigoureux de cachets, d’injections. D’exercices et d’ateliers.

Sous contrôle, je suis un itinéraire balisé. Une rééducation temporelle. La journée est ainsi rythmée...On me reconnecte au temps. Sa maîtrise...On me dit que c’est le signe d’une bonne adaptation.

L’adaptation, on me dit que c’est le chemin de la guérison. Un chemin silencieux, un peu ennuyeux. Plus de chants qui m’invitent et m’attendent quelque part. Mais, je reste avec elle. Auprès de sa dépouille, de ses cheveux souillés, de ses yeux clos. Une déesse désarticulée, toute recouverte d’épines et de bleus.

Les vêtements lacérés. Les larmes sèches. Des cris encore enfermés dans la poitrine. Une peinture au couteau...Toile de maître...Et criminelle.

lundi 7 novembre 2011

18-


Le cerveau en arrêt technique. Il m’arrivait de laisser courir les phobies...Je divague, avec elles, dans ce monde. Doucement, la lumière s’étiole. La chaleur se dissipe.

Puis les examens s’enchaînent. Destinés à me remettre sur un fil.

D’abord, nettoyer les événements. Parce que là...Ils sont encore dans la boue. Pleine de pochettes numérotées, de fureur, de visages épouvantés et d’actes limites.

Pleine de larmes et de marches. De coups et d’agressions.

Cette matière sombre qui maintient les astres dans le vide. Comme le mal...Ce lien invisible qui m’oppresse. Ce meurtre est une œuvre,  il est devenu ma vie. Une énigme, une souffrance. Tentaculaire et dérisoire. Triste à crever.

vendredi 4 novembre 2011

17-

Ensuite, le vide. Ce réveil dans une chambre. Plusieurs jours après, ou plusieurs semaines. Et des soins, des visites. Des conversations et diagnostics contradictoires. Les rechutes sont incessantes...Impossible de me consolider. Je bloque sur des yeux bleus. Au début, les médicaments m’éloignent des questions. Je vis dans une espèce de béatitude révoltante. On essaie de me remettre sur pied, grâce à des substances. Une sorte de prison. Je ne peux pas exprimer ma douleur. Je ne peux l’évacuer non plus. Paralysie désastreuse...Ressentir, même mal...Même douloureusement. Mais ressentir enfin.

mercredi 2 novembre 2011

16-

Le ciel s’éclaircit...La nuit semble se dissoudre. On me place sur un brancard...Les visages que j’aperçois ont une drôle d’expression. A la blancheur des peaux, on dirait des cadavres. Ultime tour de piste...On m’annonce que j’ai blessé quelqu’un, assez sérieusement.

J’aurais pu me suicider.... Direction les services psychiatriques d’urgence. Ce dont je me fous éperdument. Des animaux sympathiques courent dans mes veines. Ils jouent avec mes organes. La radio du bord palabre...Elle se mêle aux propos des urgentistes.

mardi 1 novembre 2011

15-


Pièces détachées…Corps profané puis disséqué. Brûlé pour finir. J’entends ce flic…

- “C’est bon…Il se calme. Ne le quitte pas des yeux…”

A présent, j’ai des menottes aux poignets. La foule se calme…Je suis à terre, dos contre le sol, visage tourné vers le ciel.

- “Vous savez très bien que ce n’est pas lui le tueur...C’est un pauvre type, point barre. Rentrez chez vous !”

Un pauvre type…Des sirènes chantent et déchirent les oreilles. Une clameur, des bruits…Et des blouses blanches, des tenues de cuir. Je me sens lourd comme une dalle de granit. On m’injecte un médicament. Une substance chimique voyage dans mes veines.

J’étais docteur avant. Avant. Je murmure des mots…Ca ne ressemble pas à un raisonnement. J’hésite...Le Propranolol m’endort…

vendredi 28 octobre 2011

14-

Et tous ceux qui l’épousent traversent le monde, invincibles. Parce qu’ils sont le monde…Ils en adoptent le rythme. De toutes mes forces, de toute mon âme, j’ai essayé de lutter. Mais les rumeurs…Ces bruits dégueulasses m’ont fait disjoncter. J’ai supporté un temps…J’ai même cru réussir. Puis un jour…Une lettre…Des articles. Et les regards pour finir.

Je connais les auteurs de la lettre. Et leurs motivations. Le reste...Mécanique de haute précision qui appartient à l’indicible saloperie. A ce mouvement céleste…Vous savez…“Ce qui existe en réalité, ce ne sont pas les choses toutes faites, mais les choses en train de se faire”.

mercredi 26 octobre 2011

13-


Un autre refuge, d’autres cieux…Des griffes d’acier sont plantées à la place des arbres. Des morsures dans les trottoirs sombres. La matière invisible et les échos distants. C’est une foutue sépulture en vérité. Cendres dispersées…Il y a eu le crime, puis l’hôpital et  la morgue. Et l’autopsie. Et les photos. L’énorme dossier rempli de photos. Rempli de sa vie aussi. De la nôtre.

J’ai emprunté des chemins nocifs, poussé des portes et découvert des endroits inquiets. A chaque fois le même constat: tout est dispersion...En morceaux. Seule l’incohérence survit.

vendredi 21 octobre 2011

12-


Après…Je disparais dans le ventre de la violence. Ils veulent m’effacer. Comme on a tué Céline. Comme j’ai voulu tuer, pour comprendre le meurtre.

Le faisceau d’une lampe torche me traverse le front. Il arrose ensuite la petite foule de riverains. Un cercle dans le ciel, un balayage complet de la place. Que cherche-t-il ? Un complice ? Ma femme ressuscitée ? Elle est toujours présente, d’une autre façon…Cette place est sa tombe. Vous n’y pouvez rien. Les traces, les coups, un acte inqualifiable peuplent ce lieu. Sa couleur a changé, le décor a muté.

mercredi 19 octobre 2011

11-

Le flic me retient…Tandis que des âmes charitables viennent au secours de l’autre agent. Il a beuglé les mots urgence et psychiatrique. J’ai lancé un regard circulaire à cette masse d’humains. L’image m’a estomaqué...Du bleu et des ombres. Plus de détails. Une police populaire, grise et brutale. La main sur le cœur, la haine à la bouche. Elle est bien défendue leur place…Nouveaux crochets, nouveaux cris et nouvelles insultes. Enfin j’abandonne, je m’écroule. Qu’on me tue. J’ai dû envoyer ça en l’air. Dans le noir, aux façades...Qu’on me tue, j’ai dit. Qu’on en finisse. Reprenez le contrôle de votre monde minuscule. Tuez-moi...Comme une belle promotion. Un viol, un lynchage. Et après ?

mardi 18 octobre 2011

10-


Je commence à trembler. Pris de véritables convulsions. Les ombres hostiles se déplacent…J’entends des injures, je reçois des crachats. Je décide de me relever et de cavaler. Debout je pousse un hurlement. J’assène un coup dans le ventre d’un agent…Il trébuche un peu, me barre la route.

Un autre flic est dans mon dos. Je le sens. Sur la droite : des collabos. Sur la gauche : des collabos. Des gentils qui veulent nettoyer la honte qui recouvre leur jolie place, si coquette, si typique. S’ils m’attrapent, demain les journaux titreront : “les habitants de la place Machin ont débusqué le violeur”.

Merde ! J’ai pas tué Céline ! Plus aucun doute là-dessus. Mais la place Machin sera à nouveau digne et tranquille. Ils pourront à nouveau se réunir en associations, comités de citoyens ou de rénovation urbaine. Je les déteste tous.

Je suis debout. Je mords, je crache et je pourrais fracasser la tête de n’importe quel abruti qui s’opposerait à moi. Ils m’ont empêché de creuser…Elle était peut-être à quelques centimètres de moi. Des os, des fragments, des traces de sa présence, un objet, des choses à elle, un ongle, une lentille, une boucle d’oreille, une armature de soutien-gorge, un tube de rouge à lèvres, un carnet...Un lien quelconque qui me relierait à elle.

lundi 17 octobre 2011

9-


Je suis à plat ventre sur le terrain de basket. J’en étais là…Avec les habitants...Ces charognes qui n’ont pas entendu l’agression, mais qui veulent me tuer… Depuis un moment on dit que j’ai assassiné ma femme. Les flics m’encerclent. Je distingue des chaussures noires et le bas des uniformes bleus.

Bleu comme le revêtement du terrain de sport et les yeux de Céline. Les journaux ont écrit des choses…Moi-même je n’ai pas toujours été clair sur le sujet. J’ai trop souffert. Trop arpenté cette place et putain…Trop dérapé. Pourtant la justice n’a jamais confirmé les ragots. Jamais. Ce n’est qu’un jugement populace.

vendredi 14 octobre 2011

8-

Les bêtabloquants…C’est magique…Ils n’effacent pas les souvenirs pénibles. Ils en atténuent “l’impact émotionnel”. Le caractère douloureux si vous préférez. On peut ainsi revivre ad vitam les humiliations et les chocs.

Ensuite tout ça est refoulé. Mais la plupart du temps ça remonte à la surface. La conscience tourne en rond. Jolie petite esclave de situations désastreuses. La libération est radicale…Un trou dans le crâne, une chute dans le vide, une overdose de n’importe quoi. Pourvu qu’au bout il y ait un peu d’air frais. Une ville blanche...C’était avant...Avant l’apparition de ces molécules miracles qui vous rendent insensible à la souffrance psychique.

jeudi 13 octobre 2011

7-

Je pleure, je lève mes poings au ciel, vers les immeubles. Des lampes s’allument, des visages apparaissent. L’impuissance…Des yeux sur moi…Ils regardent la honte et la peine. La nuit semble avoir des dents…Elles me mordent jusqu’au sang. Les arbres, tristes pantins sombres, pourraient réagir au moins. Fumiers !

C’est moi qui montre les dents maintenant…Je dois même baver. La nuit ne desserre pas sa mâchoire, elle en a vu d’autres. Avec la barbe, les cheveux un peu trop long je dois être abominable. D’ailleurs, cette étrange forme qui se reflète dans la vitrine d’un restaurant, un truc décharnée pas très solide sur ses jambes, agressif pourtant comme un fauve, c’est moi. J’esquisse un mouvement sur le côté. Un bras m’empêche de partir par là. Le trou, le buisson, ma femme à l’intérieur qui pourrit. “Salops ! Salops !” La Place est réveillée, ça oui. On dirait un soir de fête. Une belle fête nocturne, avec les étoiles, des bougies, les odeurs agréables…Conneries…Ca sent la haine. Vraiment. Je crie, fort et clair. Puis ma voix se casse, elle retombe sur le revêtement d’un terrain de sport. Le terrain et son panier de basket…Je m’y suis réfugié en rampant sur le sol, comme un ver. Toujours les insectes. Les gens sont galvanisés. Les flics tentent de s’interposer. Ils craignent sans doute qu’on me lynche. “T’es qu’un violeur”…Ces mots…Ils enragent les habitants…Je suis fatigué.

mardi 11 octobre 2011

6-


Ils ont hurlé…Des flics en patrouille ont déboulé aussitôt. Pourquoi n’ont-ils pas entendu les cris de ma femme…J’ai crié à mon tour. Des insultes contre la nuit…Elle dessine des vagues noires et de l’écume grise. J’ai dû me défendre…Un coup dans la gueule de l’un. Un coup dans la gueule de l’autre…En retour, des coups sur ma gueule à moi.

lundi 10 octobre 2011

5-

J’ai fini à l’endroit précis où tout a commencé. Le corps a été découvert dans un buisson. Corps en sang. Celui de ma...J’ai creusé la terre. J’aurais voulu aller plus bas, ne plus remonter. De la terre sur mes bras, sur mon front. Des insectes qui se faufilent…Ils me rassurent d’une certaine façon. Ils s’ignorent, ils se passent par-dessus, ils font leur vie. Ils ne se dénoncent pas. Eventuellement, ils se bouffent entre eux. C’est dans l’ordre des choses. Comme une règle du jeu bien établie.
Des jeunes gens, qui devaient boire plus loin, ont entendu du bruit et sont venus à moi. Quand ils m’ont conduit sous la lumière d’un lampadaire…

4-

Dans la clarté artificielle…Avec des rayons de haine, un sang de feu. Et la séquestration qui m’a rendu comme une île… 

Les voix rouges tombent du ciel. L’accusation fut lancée par des “anonymes”. Elle a couru dans toute la ville. Réduite à des choses laides. Un bloc unitaire, un fantasme de cerveaux grégaires, baignant dans le déni. Des opinions lourdes comme du plomb. Avis fuyants…Aveugles et violents tout à la fois. Je tape dans le vide. Je reçois des coups dans le dos sur la tête dans les jambes. Je m’accroche à ce lit. Comme à la beauté…Cette idée abstraite d’un monde peuplé seulement de fantômes et de paysages disparus. Quand j’ouvre les yeux, à la lumière glaçante du réel, c’est le totalitarisme fraternel qui éclate. Le rêve affreux de l’uniformité. Le monstre renaît sur les cendres d’un Empire des lamentations. Ruiné par les repentirs et les haines refoulées.

vendredi 7 octobre 2011

3-


L’écriture s’est alors imposée. Genre de refuge vissé au sol. De l’encre noire pour un flux tendu de réflexions et de souvenirs. Avant le trou noir ou le tenir à distance. Il y a en permanence dans cette chambre de la lumière. Plus ou moins forte selon les heures. La nuit elle est en veilleuse. Petite lueur blanche qui maintient un semblant de jour. Un semblant de raison paraît-il. Je la regarde. J’y vois ce que je ne devrais plus y voir avec les médicaments. Avec eux je ne devrais plus regarder les sources de lumière durant des heures. Parce qu’elles m’aveuglent…Le monde se réduit à une lueur, concentré parfait d’énergie. De l’incandescence qui coule dans mes veines et me projette dans un univers de chairs à vif.

jeudi 6 octobre 2011

2-


Comme ça cette nuit dans un demi-sommeil. Même pas attaché, comme je l’ai été si souvent ces derniers temps. Assis et presque à poil. Un pantalon de pyjama bleu ciel. J’ai enlevé la chemise, elle est par terre. Pour me raconter je devais sentir le froid. Et très vite mon corps s’est en effet refroidi.

1-

Cette nuit j’ai décidé de raconter ce que j’ai vécu. Il se pourrait que cela aggrave mon état. Il se pourrait aussi que cela l’améliore. En fait je n’y accorde aucune importance. Aggravation amélioration...Des variations dérisoires.