mercredi 27 mars 2013

146-

Dans le couloir, j’entends les habituels passages, les mauvaises passes...Un cri, la chambre juste à côté de la même...Puis plus rien. Sédatif express... 
 
Rien de ce qui se passe à présent dans la journée ne m’intéresse, et ne mérite d’être rapporté. A la nuit tombante, je reprends le cours de ma vie passée, avec une force et un désir qui ne cesse de s’accroître. Quand bien même c’est de la mort qu’il s’agit. Je me retrouve à nouveau face à cet homme muet. Il me tend un autre morceau de papier, qu’il tire cette fois de sa poche de pantalon. Son nom est écrit dessus. Karl Lodiran, A partir ce cet instant, une sorte de fusion s’est opérée entre nous. Je décide de rester, ou bien il décide de m’accueillir pour la nuit...Je ne sais plus. Les bières vides, il fouille dans un placard sous l’évier de la cuisine, et trouve une bouteille de whisky, un premier prix.  
 
Pas un mot durant une heure. Pas un grognement. Il boit, et me sert généreusement à chaque fois que les verres sont vides. Je n’ose toujours pas lui demander l’origine de son parfum...Mais son passé afghan commence à m’éclairer...L’effet du whisky probablement, je pense plus vite. Et mieux. Sûrement un parfum qu’il a dû ramener de ce pays, quelque chose dans le genre.

mercredi 20 mars 2013

145-


 
 
 
 
Et dont la voix ne portait plus au-delà de quelques centimètres. Je l’avais oubliée avant même que Lise ne meure. J’ai le souvenir d’une présence qui s’est peu à peu dissoute. Quelques bribes de l’enfance...Flottant dans un océan monotone. Son existence puis sa mort...imperceptible. Une même absence de vision. Une amputation...Ma mère était devenue un membre fantôme.

mardi 19 mars 2013

144-

Le diagnostic, l’effondrement qui a suivi...Le silence dans lequel je me suis enfermé. Confusion des évangiles, doutes sur mes compétences...L’origine de ce basculement n’était pas seulement dans la maladie. Mais dans les murs de l’enfance. Ces cloisons que l’on voulait étanches. Mais à travers lesquelles passaient toutes les souffrances tues, les cris étouffés. Les pas comme des feuilles. De plus en plus mortes. Craquants à la fin, à chaque mouvement. Je les entendais, malgré les précautions prises par mon père. Je pense toujours, enfermé dans cet hôpital, que j’ai vécu cet effacement sans traumatisme conscient. J’ai vécu dans un cadre si préservé...Que j’ai peine encore maintenant à me souvenir de sa mort. De son enterrement. Cette protection ne m’a pas épargné une autre douleur. 
  
Pire, c’est probable, que celle que j’aurais endurée, si j’avais vu la déchéance. Cette fin de près...Pouvoir toucher ma mère une dernière fois. L’embrasser, lui dire quelques mots. J’avais sept ans. Je pouvais supporter cette vision. Mon père en décida autrement. En accord, peut-être, avec Lise...Cette mère qui demeura un fantasme, une image éthérée. Un corps traversant l’appartement comme une apparition spectrale, ceint dans une robe de chambre d’une blancheur éteinte.

lundi 18 mars 2013

143-

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ce noir vers lequel je me dirige me rappelle trop le vide que mon père avait organisé autour de moi. Les années du cancer. De la porte fermée. De l’amaigrissement effrayant. Ce calme insensé qui régnait alors dans l’appartement de la rue Amiral Linois.

vendredi 15 mars 2013

142-

Et les muets parlent, les morts ressuscitent...Son infirmité, à cette heure, était une source infinie d’apaisement. La voix intérieure, qui depuis le matin me terrorisait, ce double intime du tueur, avait disparu. Je croyais même avoir retrouvé la mesure de ce qui était arrivé. Juste une autre illusion. Bienveillante celle-là. Disposée à me rendre Céline pour un temps. Un temps seulement. Alors pourquoi lutter...Me convaincre que je suivais toujours un chemin chaotique ? Je ne sais pas son nom...Je connais un fragment de son histoire. Je ne sais rien d’autre. Cet intérieur miteux, minuscule. Dans lequel pourtant je me sentais à l’aise. 
 
Mon appartement sur rade, les tableaux, les photos. Cette chaleur esthétique dans laquelle je baignais...La maladie l’avait déjà amplement altérée. Mais il en restait quelque chose. Le sentiment qu’elle me survivrait. Elle me quitterait, me laissant dans le noir. Céline en profiterait encore. Elle s’y consolerait peut-être.

jeudi 14 mars 2013

141-

De sa chaise, il scrute le moindre de mes gestes. Avant de se lever, de m’arracher brutalement des mains la photo. Et de pousser un cri abominable. La bouche grande ouverte. Son cri me tétanise, me revient en mémoire comme un coup de poing. Et cristallise toute l’horreur de cette journée. Une sorte d’acmé. Tout est contenu dans ce hurlement...L’errance la mort la sauvagerie ma solitude. Son errance sa mort la sauvagerie la solitude. Il tente de m’expliquer sa blessure, par écrit cette fois. Sur un morceau de papier qu’il sort du même tiroir. Langue mutilée dans un combat. Une course, une chute, une balle, il avale sa langue, puis se l’arrache en se mordant.  
  
Rendu muet. Silence forcé. J’ai ma réponse...Ces bruits étranges qu’il émet pour toute parole. Il reste ce parfum...Ce parfum terrible qui me tient là comme anesthésié. Pendu aux lèvres d’une sorte de vétéran. Pendu à ses grognements. A cette pauvre vie qui s’étale sur le trottoir. A ce corps pathétique secoué par d’anciennes forces. Dans lequel j’entrevois pourtant ma vie passée. Je reste là sur ma chaise, sans rien dire, à boire de la bière. Sans vouloir briser ce charme étrange, et demander l’origine de cette odeur incroyable. Je savais bien qu’à la seconde où j’en aurais le cœur net...Céline disparaîtrait. Son absence reprendrait toute sa place dans mon esprit.

mercredi 13 mars 2013

140-




Ce que j’ai devant moi ressemble aux fragments d’un corps en détresse. Deux longues cicatrices courent dans son dos. Une autre sur le ventre. Des brûlures sur les avant-bras, que je remarque seulement à la lumière d’une ampoule incandescente. D’où vient ce type ? Qu’a-t-il traversé pour être dans un état pareil ? Ces questions m’occupent l’esprit. J’oserais dire, maintenant, qu’elles me divertissent. Elles m’éloignent d’un autre corps, celui de Céline. Elles me tiennent à l’écart de mon enfer. Je bois...J’attends qu’il trouve le moyen de me répondre. Il réfléchit. Et retrouve alors un peu de sa force bestiale. Son corps abîmé s’anime, de cette grâce étrange qui m’avait déjà frappé. Cette puissance un peu surnaturelle, qui semble l’habiter par intermittence.

Il s’assoit dans un coin de la pièce, près d’un buffet brinquebalant. Sort d’un tiroir une photo. Me la jette à la figure. Je la ramasse par terre. Sur un vieux sol en gerflex. Sur le cliché il y a un homme en uniforme. Derrière lui on devine des montagnes rases et désertiques. Ca ressemble à un paysage afghan. J’ai, comme tout le monde, vu des dizaines d’images de ce genre. Même désorienté, en état de choc probablement, je comprends tout de suite qu’il s’agit de lui sur la photo. L’homme y est impressionnant. Une masse de muscle, tenant dans les bras une arme puissante. Ce qu’il est devenu devient soudain plus compréhensible. De cet homme armé, incarnation de la force, à celui qui est en face de moi...Il ne reste que les traits reconnaissables d’un visage endurci, puis fané.

mardi 12 mars 2013

139-

Il me la tend, après l’avoir ouverte d’un geste sec. Capsule projetée adroitement dans un cendrier posé sur une table formica. Installée contre un mur jaune bouffé par des moisissures. Dessus il y a toute sa vaisselle, quelques conserves, une cafetière électrique.

Le tout saupoudré d’une sorte de poussière blanche. Je bois...Je le regarde qui tourne en rond dans son logement-pièce-unique. Il est toujours le torse nu. S’allume une cigarette puis s’immobilise enfin. Il bredouille quelque chose. Je devine qu’il me demande si je vais bien. Ou si je récupère. Je fais un geste de la tête, et lève ma bière. Il n’a pas l’air si mécontent de m’avoir fait rentrer chez lui. 

Ce temps suspendu arraché à la dérive...Assis, buvant, silencieux par la force des choses...Il me propose une autre bière. J’accepte à nouveau. Je m’aventure à lui dire que je suis médecin, que son infirmité m’intrigue...Il passe sa main devant sa bouche. Je vois une lueur de honte dans ses yeux. De la révolte ensuite. Mais seulement un reste. Vite effacé. Il ne dit rien pendant de longues minutes.

lundi 11 mars 2013

138-

Je m’allonge...Ces voyages incessants finissent parfois par m’assommer. Même à cette heure paradoxale. La seule où je puisse écrire. Au silence torturé de ce lieu, sa retraite inquiète, rompue par les cris ou des pas. De repos, de vrai repos je veux dire, il n’y a point...Plongé dans ce calme neurasthénique, rien n’est jamais vraiment apaisé. Rien n’est jamais vraiment inoffensif. Les images, elles, continuent à défiler, dans un ordre tragique. La porte de l’appartement est grande ouverte, l’homme me pousse à l’intérieur, m’assoit sur une chaise en paille. J’appréhende son logement d’un seul coup d’œil.  
  
Le désordre est évidence...Je ne m’attendais à rien d’autre. Je suis juste à nouveau saisi par le parfum qui embaume l’espace. Etrange césure, entre la volupté de cette odeur, et la pauvreté du lieu. Quelques meubles dépareillés, en mauvais état. Certains sont même à deux doigts de s’effondrer. L’homme me sert un verre d’eau, puis me propose une bière, en me montrant simplement un pack éventré sur le sol.  Près d’un minuscule réfrigérateur. J’accepte la bière.

vendredi 8 mars 2013

137-

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

Mon appartement, la voiture...Toutes ces choses que je peux rejoindre en un clin d’œil, ou presque. Tout cela me semble si dingue...Ou inutile. Totalement irréel. Alors que Céline, elle, me touche encore, me parle encore, m’appelle encore. Jusqu’à son odeur...Retrouvée là, dans la rue. Je me tiens contre la rambarde d’une fenêtre. Comme si j’allais m’effondrer. L’homme se précipite sur moi pour me relever. Puis il me conduit à l’écart de son fatras encombrant le trottoir. C’est l’occasion de renouer un contact pacifique. De l’amadouer.  
 
Ce bout de chair qu’il a essayé de sortir de sa bouche devient une obsession. Je dois savoir...Mon attention doit se fixer sur autre chose que la mort. Il m’entraîne maintenant, dans mon souvenir c’est très net, dans son appartement. Au rez-de-chaussée. On pénètre dans un immeuble comme il y a tant dans cette ville. Pas vraiment insalubre. Moisi, genre de dortoir pour étudiants, junkies, jeunes couples.

jeudi 7 mars 2013

136-

Illuminés par des lumières artificielles. Jamais par le jour. C’est l’impression que j’ai...Celle d’un type délavé par la nuit. Par son silence. J’imagine d’abord qu’il n’a plus de larynx. Puis je réalise qu’il n’a pas de cicatrice au niveau du cou. Il finit par grogner. Il faut que je parte et vite...Il m’a aidé, m’a offert cette odeur, une présence miraculeuse. Puis, comme un retour à la réalité, je repense à l’intrusion dans ma vie d’un flic, dont le nom m’arrache un sourire, là devant ce type muet. Il pense que je me fous de lui. Il porte une main à sa bouche. Il l’ouvre. Et me tire un misérable lambeau de peau. Ce qui doit être sa langue. Ce qui devait être sa langue.
 
Cette chose attise ma curiosité de médecin. L’espace d’un instant je redeviens...Quoi au juste...Un homme sans drame ? Un homme équilibré ? Ou un manipulateur. Pour obtenir ma réponse, je feins un malaise. Afin qu’il accepte que je reste dans « sa » rue. Que je puisse en avoir le cœur net. Cette soudaine obsession, je pense le comprendre à présent, est une façon comme une autre de tenir le coup. De donner un sens à cette marche insensée. Tout est derrière moi. Je ne sais plus comment le retrouver. Il y a l’irrémédiable, je m’acharne à vouloir le revoir. Et ce qui est encore là et que j’ignore, comme s’il m’était inaccessible.