mercredi 13 mars 2013

140-




Ce que j’ai devant moi ressemble aux fragments d’un corps en détresse. Deux longues cicatrices courent dans son dos. Une autre sur le ventre. Des brûlures sur les avant-bras, que je remarque seulement à la lumière d’une ampoule incandescente. D’où vient ce type ? Qu’a-t-il traversé pour être dans un état pareil ? Ces questions m’occupent l’esprit. J’oserais dire, maintenant, qu’elles me divertissent. Elles m’éloignent d’un autre corps, celui de Céline. Elles me tiennent à l’écart de mon enfer. Je bois...J’attends qu’il trouve le moyen de me répondre. Il réfléchit. Et retrouve alors un peu de sa force bestiale. Son corps abîmé s’anime, de cette grâce étrange qui m’avait déjà frappé. Cette puissance un peu surnaturelle, qui semble l’habiter par intermittence.

Il s’assoit dans un coin de la pièce, près d’un buffet brinquebalant. Sort d’un tiroir une photo. Me la jette à la figure. Je la ramasse par terre. Sur un vieux sol en gerflex. Sur le cliché il y a un homme en uniforme. Derrière lui on devine des montagnes rases et désertiques. Ca ressemble à un paysage afghan. J’ai, comme tout le monde, vu des dizaines d’images de ce genre. Même désorienté, en état de choc probablement, je comprends tout de suite qu’il s’agit de lui sur la photo. L’homme y est impressionnant. Une masse de muscle, tenant dans les bras une arme puissante. Ce qu’il est devenu devient soudain plus compréhensible. De cet homme armé, incarnation de la force, à celui qui est en face de moi...Il ne reste que les traits reconnaissables d’un visage endurci, puis fané.