De sa chaise, il scrute le moindre de mes gestes. Avant
de se lever, de m’arracher brutalement des mains la photo. Et de pousser un cri
abominable. La bouche grande ouverte. Son cri me tétanise, me revient en
mémoire comme un coup de poing. Et cristallise toute l’horreur de cette
journée. Une sorte d’acmé. Tout est contenu dans ce hurlement...L’errance la
mort la sauvagerie ma solitude. Son errance sa mort la sauvagerie la solitude.
Il tente de m’expliquer sa blessure, par écrit cette fois. Sur un morceau de
papier qu’il sort du même tiroir. Langue mutilée dans un combat. Une course,
une chute, une balle, il avale sa langue, puis se l’arrache en se mordant.
Rendu muet. Silence forcé. J’ai ma réponse...Ces
bruits étranges qu’il émet pour toute parole. Il reste ce parfum...Ce parfum terrible
qui me tient là comme anesthésié. Pendu aux lèvres d’une sorte de vétéran.
Pendu à ses grognements. A cette pauvre vie qui s’étale sur le trottoir. A ce
corps pathétique secoué par d’anciennes forces. Dans lequel j’entrevois
pourtant ma vie passée. Je reste là sur ma chaise, sans rien dire, à boire de
la bière. Sans vouloir briser ce charme étrange, et demander l’origine de cette
odeur incroyable. Je savais bien qu’à la seconde où j’en aurais le cœur
net...Céline disparaîtrait. Son absence reprendrait toute sa place dans mon esprit.