jeudi 14 mars 2013

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De sa chaise, il scrute le moindre de mes gestes. Avant de se lever, de m’arracher brutalement des mains la photo. Et de pousser un cri abominable. La bouche grande ouverte. Son cri me tétanise, me revient en mémoire comme un coup de poing. Et cristallise toute l’horreur de cette journée. Une sorte d’acmé. Tout est contenu dans ce hurlement...L’errance la mort la sauvagerie ma solitude. Son errance sa mort la sauvagerie la solitude. Il tente de m’expliquer sa blessure, par écrit cette fois. Sur un morceau de papier qu’il sort du même tiroir. Langue mutilée dans un combat. Une course, une chute, une balle, il avale sa langue, puis se l’arrache en se mordant.  
  
Rendu muet. Silence forcé. J’ai ma réponse...Ces bruits étranges qu’il émet pour toute parole. Il reste ce parfum...Ce parfum terrible qui me tient là comme anesthésié. Pendu aux lèvres d’une sorte de vétéran. Pendu à ses grognements. A cette pauvre vie qui s’étale sur le trottoir. A ce corps pathétique secoué par d’anciennes forces. Dans lequel j’entrevois pourtant ma vie passée. Je reste là sur ma chaise, sans rien dire, à boire de la bière. Sans vouloir briser ce charme étrange, et demander l’origine de cette odeur incroyable. Je savais bien qu’à la seconde où j’en aurais le cœur net...Céline disparaîtrait. Son absence reprendrait toute sa place dans mon esprit.