lundi 15 avril 2013

147-

Une vie ne suffirait pas à tenter de comprendre cette ligne de fracture. Sur laquelle se fracassent la violence, la douceur perdue, le mépris de l’existence et sa persistance contre tout. De ce pays l’ayant privé de la parole, il aurait pourtant rapporté ce parfum. Pourquoi l’aurait-il fait ? Par défi ? Par dépit ? Manière de conjurer, de garder pour soi, sur soi, une part de beauté. Aussi insaisissable fût-elle... 
 
Il se lève soudain, et se rassoit sur le rebord de la fenêtre. Le dos nu à la rue. Depuis un moment, l’ivresse sans doute, je le vois qui s’humanise. Il semble plus détendu, à la recherche d’un mode de communication. Je le sais parce qu’il a gardé un crayon à la main. Que ses doigts sont en mouvement, qu’ils disent la frustration. Dans ses yeux, dont la couleur est encore un mystère, je vois défiler les mots qu’ils voudraient prononcer. Mais c’est impossible.  
 
Alors il se retourne un instant, observe la rue. Comme si je n’étais plus là. Toutes ces choses sur le trottoir...Que signifient-elles ? Une crise de folie, un déménagement à l’arraché ? Cette peine qui me broie depuis le matin tente une percée. Entre ces murs, ce logement-cellule qui vomit une partie de ses biens sur le bitume, j’ai pu me croire protéger. Je ressens le besoin de parler aussi...Et cet homme doit pouvoir comprendre, mieux que personne, ce que je traverse alors. Dans l’encadrement de la fenêtre, nimbé d’une lumière douce, il pourrait faire penser à une représentation religieuse. Il émane de ce corps, dont la peau est si pâle, quelque chose de sacrificielle. Sa parole emprisonnée, le déclin tombé trop vite sur des épaules larges. Un rayonnement martyr...Devant lequel je ne pouvais que m’incliner.