lundi 23 janvier 2012

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- “Tu es bien dans le noir ?”

Elle m’attrape par la taille devant la baie vitrée. Nous admirons quelques minutes un panorama chaviré. Je sens sa respiration dans mon cou. Elle s’est lavé les dents, a revêtu un pyjama en satin.

- “Tu devrais peut-être voir un collègue...Tu étais vraiment dans un état...Ca me rassurerait si tu...”.

Je lui promets d’y penser. Même si je lui mens. Même si je crois, quand-même, savoir de quoi je souffre. Je détourne les yeux de cette étendue sombre et j’éclaire faiblement le salon. Mais suffisamment pour que la pièce surgisse dans son aspect habituel.

Le tableau accroché au-dessus de notre canapé est plus saisissant que jamais. C’est une très grande toile que nous avions achetée tous les deux dans une galerie. Elle est divisée en deux parties. L’une est envahie par des rouges. Du plus vif, un rouge aniline, au plus pâle, un rouge presque rose. L’autre est dévorée par le noir et les bleus. Un bleu ardoise, minéral et plombé.

Une plaie traverse toute la toile, une veine noire et blanche. Une déchirure qui divise autant qu’elle équilibre les couleurs et les espaces.

Avec Céline nous passions de très longs moments à nous regarder. Sous toutes les coutures. Nus, habillés, dans notre lit, la salle de bains. Cette habitude nous la devions à notre amour pour la peinture. Aux silences, ces vibrations inattendues que procurent les tableaux. Des perceptions libérées du sens. Parfois, souvent, il n’y en a pas. 

On se ressourçait dans ces visions et les couleurs. Nous pouvions aussi nous y perdre et pleurer devant la noirceur ou la détresse. Nous nous comprenions ainsi. L’harmonie dans les tourments. La plénitude dans la crainte. Notre vie était faite de lignes, de volumes et de formes.