- “Monsieur,
pourriez-vous me rejoindre au commissariat central, rue du Château ?”
La question n’en est pas une. Je dois le rejoindre
maintenant. Mais le ton est d’une extrême délicatesse. Une douceur qui, bien
sûr, est d’une prodigieuse violence.
Une brume anesthésiante que l’on prend soin de
vaporiser tout autour de vous. Avant de vous assommer. Je conserve, depuis, la
hantise de cette forme de gentillesse. Elle n’annonce rien de bon.
Toute la journée, je n’ai pensé qu’à ce moment.
Celui où je devrai aborder, dans ce journal, la question de la morgue. J’ai
beaucoup fumé. Ce qui a provoqué la colère du personnel soignant.
En théorie, j’ai le droit de fumer. Mais aujourd’hui
j’ai vraiment abusé. Enfin...Les médicaments, les cigarettes me permettent de
revenir auprès du lieutenant Darc. Je monte les marches d’un bâtiment gris. Gros
cube de granit, agrémenté d’un large auvent soutenu par deux piliers de béton.
Les portes sont automatiques.
Darc se tient les coudes posés sur la tablette du
bureau d’accueil. C’est un homme grand et très maigre. Les cheveux mi- longs,
des lunettes argent posées très bas sur son nez. Il discute avec un policier en
uniforme derrière le bureau. Dès qu’il m’aperçoit, il devine qui je suis. Il se
redresse, avec une grimace qui barre son front, les lèvres si pincées qu’elles
disparaissent à l’intérieur de sa bouche. Le policier en charge de l’accueil
plonge aussitôt dans une pile de dossiers qui dépasse du comptoir.
- “Monsieur Cabon,, je suppose ?”
Je lui serre la main. Je remarque ses doigts
noueux, les ongles trop courts.