La voiture s’arrête pile en face de l’entrée de la
morgue. Darc défait sa ceinture et me tape sur la cuisse. “Vous êtes prêt
Monsieur Cabon ? L’enquête est prioritaire, mais ici nous pouvons prendre notre
temps...” J’apprécie l’intention, même si je la rejette. Pourquoi
attendre ? Je connais déjà ces lieux. Ils exhalent le malheur et la perte.
Lorsque nous descendons de la voiture, je crains de ne pas avoir assez de force
dans les jambes pour marcher. Je les sens me trahir, comme d’ailleurs à peu
près tout ce qui m’entoure. Mon organisme, cette ville me font souffrir.
Nous passons sous un portique qui ne sonne pas, et
entrons dans un hall impersonnel et silencieux. J’ai l’impression de rentrer
dans une église. Au lieu de sentir l’encens, elle empeste le formol et l’eau de
javel. L’autel a la froideur de l’aluminium. Une table destinée aux sacrifices.
Une jeune femme vient à notre rencontre. Elle nous
serre la main avec un empressement qui me terrifie. Un ascenseur et le
sous-sol. La jeune femme, à peine plus âgée que Céline sans doute, m’appelle “Docteur
Cabon”. Je suis tellement affaibli que cela me fait peur. Mes diplômes, ce
titre, la compétence que l’on me prête...Tout ça se réduit en miettes. C’est l’homme
que j’étais qui est en train de disparaître.