mardi 28 février 2012

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J’ai dû enchaîner les consultations. Le mécanisme qui s’était déclenché au cours des dernières semaines m’éloignait des patients sans gravité. De leurs troubles bénins. Il reste imprimé dans mon esprit l’idée qu’à présent je suis passé du côté du vrai mal. Avec les soldats envoyés sur la ligne de front. Au contact du feu. Je partage avec certains patients un savoir secret. Je suis un des leurs. Nous entretenons une flamme vacillante. La matinée est imprégnée de la sueur qui trempe mon corps, comme celui des malades. Des humeurs mélangées. Les heures défilent. De plus en plus insensible aux cris, aux plaintes superficielles. Je n’ai plus d’aptitudes. Je n’accueille plus que les douleurs extrêmes.

Les plus silencieuses la plupart du temps. Evidemment c’est une erreur. Je frôle la faute professionnelle. A chaque nouveau visage qui se présente, j’identifie aussitôt le problème. Un simple renouvellement d’ordonnance, un emmerdeur, une emmerdeuse. A la surprise de Laure, la secrétaire, je les envoie balader. Cinq minutes, parfois moins, dans mon bureau et dehors. En revanche, dès qu’une personne dont je pressens la détresse authentique se manifeste, je lui consacre un temps que le chronomètre comptable juge indécent. Il y a en effet de l’indécence, davantage encore, à ne plus soigner, mais à mélanger les perditions, à pactiser avec l’ennemi. Alors que pendant ce temps, Céline court à sa perte.