mercredi 1 février 2012

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Un arbre massif. Une feuille séchée, nuances automnales. Des branches comme des panneaux indicateurs empilés autour d’un tronc comme une épée. De ses cheveux blonds Céline fait une queue de cheval. Elle gagne la chambre, en silence. Je m’installe dans un fauteuil et je prends la mesure de mon comportement. De la cassure qui vient de s’opérer. Une cassure nette. Sans un éclat de voix, ni une insulte. La folie et la maladie se sont juste insinuées entre nous.

Nous nous sommes rencontrés trois ans plus tôt. Je me rends à une exposition de Gisèle Vienne, et je la vois totalement absorbée devant la photographie d’un enfant.

D’un jeune adolescent, allongé dans la neige, enveloppé d’une fumée de givre. Il a les yeux ouverts, un bleu quasiment transparent. La bouche très bien dessinée, rouge écarlate. Des cheveux noirs qui dépassent d’une capuche. Un visage remarquable de finesse. Un teint pur mais étonnamment effrayant. On ne sait pas s’il dort. S’il est mort ou s’il agonise. Il fixe quelque chose au loin. Peut-être même qu’il ne regarde rien de précis. Entre la pensée et la vie.

Cette marionnette photographiée est envoûtante. L’enfant dans la neige, qui ne porte qu’un sweet noir à capuche, irradie d’une beauté froide. Il est là, mais il est ailleurs. Dans les souffrances et le mutisme. Il tient sur son ventre un masque de monstre. Un masque de carnaval avec des crocs ensanglantés. Comme si la terreur avait fini par le contaminer. Comme si le jeu avait fini par se transformer en tragédie. Malgré la conservation apparente, sa pureté inviolée, on devine le malheur. Mais un malheur attendu. Toute la grâce impuissante devant la catastrophe. Rattrapée en pleine conscience par une vague noire. La représentation d’une âme saisie par le monde. Usée par lui.